Colloque Fleurs et jardins
January 1, 2004
Colloque «Fleurs et jardins dans l’œuvre de George Sand» Clermont-Ferrand, Maison de la Recherche, 4, rue Ledru. Christine Chambaz-Bertrand
Annabelle Rea présente le premier orateur de la matinée; Joseph- Marc Bailbé (Université de Rouen) qui nous entraîne à «Des jardins d’Italie aux jardins berrichons: une promenade dans l’imaginaire de George Sand» Son exposé, divisé en quatre parties, nous emmène d’abord dans le jardin italien de différentes villas italiennnes, où Sand préfère «aux jardins arrangés» «le jardin naturel», puis dans le jardin du Berry. J.M. Bailbé nous conduit ensuite par une synthèse des tendances dans un circuit romanesque et finit au jardin refait refuge. A noter que même dans le Berry, l’Italie n’est jamais oubliée.
Olga Kafanova (Université de Tomsk, Russie) nous parle du« Jardin romantique dans l’œuvre de George Sand et la culture russe domaniale». L’oratrice nous expose la notion russe de la «culture domaniale» dans l’étude des œuvres littéraires et l’intérêt de l’œuvre de George Sand à la lumière de cette notion. Elle cite surtout Valentine et son influence possible sur Pouchkine, sa ressemblance avec les œuvres de Gontcharov, Tourgueniev.
Après la discussion et la pause, Annabelle Réa donne la parole à Henri Bonnet, Inspecteur général honoraire de l’ Education nationale, sur «Le bouquet sandien, des Lettres d’un voyageur aux Nouvelles lettres d’un voyageur». Son riche exposé s’ordonne en trois points, tout d’abord la poésie descriptive, puis l’art poétique, enfin le rapport avec la mort. Quarante ans séparent les deux ensembles de «Lettres ». George Sand a progressé dans la science des fleurs. Henri Bonnet répète le vers de Paul Valéry,«le don de vivre a passé sans les fleurs». Entre les premières Lettres et les Nouvelles, il y a non seulement le progrès de l’étude scientifique mais aussi beaucoup de deuils dans la vie de la romancière-botaniste.
Angels Santa (Université de Lleida, Espagne) nous parle des «jardins sauvages de George Sand». Après avoir cité – comme la plupart des intervenants – Rousseau, elle se concentre sur Majorque, la chartreuse, sa superbe sauvagerie et son influence sur Spiridion dont la chartreuse est le cadre. Majorque demeurera dans l’imaginaire de George Sand, comme dans celui de Chopin.
Yvon Le Scanff (Université de Paris IV) termine la matinée avec «George Sandet la poétique du jardin naturel dans les Nouvelles lettres d’un voyageur». Son exposé en trois points tourne en partie autour de la notion du sublime. Il rappelle la préférence pour le jardin naturel, que nous avons déjà entendue, le jardin anglo-chinois, mais n’exclut pas, bien au contraire, l’action de l’homme dans le paysage. Le jardin pointu d’Antibes, par exemple. Et il cite l’oasis.
L’apres-midi, sous le titre «Langages» et la présidence de Pascale Auraix- Jonchière, Eric Francalanza (Université de Bordeaux III) nous parle de «l’hortus amoenus de George Sand: des traités sur les jardins au XVIIIème siècle à Histoire de ma vie». Histoire de ma vie est-elle l’histoire des jardins? Eric Francalanza énumère les divers jardins de George Sand et les divers traités de l’époque que George Sand connaissait sûrement. Il termine par le «locus amoenus» qui abrite le fondamental Corambé.
Catherine Botterel-Michel (Université Paris 1V), traite du« Langage des fleurs dans quelques récits romantiques: une réécriture des manuels de botanique » et de son œuvre. Les fleurs parlent; et pour soutenir cette affirmation, Catherine Botterel-Michel cite trois romans: André, Antonia et Le Lys dans la vallée. La femme est elle-même fleur.
Eve Sourian (City College, CUNY, U.S.A.), dans «Ce que disent les jardins: Isidora et Les Nouvelles lettres d’un voyageur», affirme que Balzac peint les maisons, George Sand les jardins. Elle décrit l’éden de Julie. L’Italie est encore présente dans Les Nouvelles lettres avec la villa Pamphili et le jardin de Juliette Lamber, le jardin de Tamaris.
Françoise Sylvos (Université de la Réunion), dans «Du côté de la symbolique du jardin dans Le Compagnon du Tour de France » nous présente le mythe du jardin – éden sous l’angle socio-politique. Citant Fourrier, Proudhon, St Simon, elle traite de la question de la grande et de la petite propriété. Walter Scott est aussi invoqué. Pierre Huguenin termine par une vision grandiose du parc de Villepreux devenu un éden, un lieu de réconciliation avec Yseut et leurs deux familles.
Tatiana Antolini-Dumas (Université Clermont II) dégage les différents aspects et les différents rôles des multiples jardins de Consuelo dans sa communication, «Les jardins de Consuelo». Jardin secret, régulier, mais aussi luxuriant du chanoine, protecteur, où grandiront les deux enfants de Consuelo. Le roman s’ouvre sur une infinité de jardins qui protègent ou mettent à l’épreuve: parc des Invisibles, jardin anglo- chinois, jardin d’Albert en relation avec le souterrain… .
Henriette Bessis (Université de Paris I) nous propose, diapos à l’appui (en particulier d’intéressantes dendrites de George Sand et de Maurice), «Fleurs et bouquets dans l’œuvre plastique de George Sand ». La fille spirituelle de Rousseau qui avait sans doute lu Humboldt et Goethe disait qu’il fallait «apprendre à voir» et que «le beau était partout».
Le jeudi 5 février à 8h30, le colloque accueille Madame Reine Prat, chargée de mission pour l’année George Sand au Ministère de la Culture. Puis sous le titre, «De la botanique à la symbolique» et la présidence d’Eric Francalanza, écoute Jean- Pierre Leduc-Adine (Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle) parler de «George Sand et Jules Néraud botanistes». George Sand a volé à son complice en botanique Néraud des fleurs. Il connaissait Linné, Humboldt, le Larousse. «Il était un initiateur admirable». Pour son second point, l’orateur mentionne l’usage des carnets de Néraud à propos d’Indiana.
Simone Vierne (Université de Grenoble III), dans « Poésie de la botanique», précise que la botanique, les sciences naturelles sont un des moteurs de la création pour le romantisme et pour George Sand, en particulier. Elle cite naturellement Jules Néraud et esquisse un parcours rapide de l’importance de la botanique pour George Sand sa vie durant. Pour son œuvre, elle cite André que nous retrouvons, après CatherineBotterel-Michel, ainsi que Mademoiselle Merquem, Nanon , Aldo le Rimeur, un panthéisme qui l’apparente à Victor Hugo. Colette retrouvera sa science des détails.
Simone Bernard-Griffiths (Université de Clermont II), dans «Fleurs et jardins de l’écritoire dans Antonia», se livre à l’étude d’Antonia, roman de fleur consacré à une mystérieuse liliacée, prénommée Antonia, fille d’Antoine, le jardinier, roman où les jardins sont omniprésents. Le jardin a une fonction diégétique. C’est un lieu de communication. On retrouve la femme fleur que nous avons vue avec André. La fleur «Antonia» est traitée comme une femme, prénommée qu’elle est déjà. Watteau n’est pas loin dans ce roman, avec le décor de «L’embarquement pour Cythère». Dans son troisième point, réflexion sur l’art, sont confrontés les deux arts, du pépinièriste et du peintre, car Julien, neveu d’Antoine, est peintre. (Antoine, par ailleurs, n’a rien d’un artiste. Il ne comprend rien à la peinture de son neveu). Le roman se termine par le mariage de Julie et Julien, déjà apparentés par leurs prénoms et l’éclosion d’une liliacée encore plus belle que la précédente Antonia, prénommée Julia Antonia Thierrii.
Damien Zanone (Université de Grenoble III), dans «Jardins narrés, jardins de l’âme», recherche les «scènes de jardin» qui sont des moments de vie spirituelle qui lui font prononcer le nom de Sainte Thérèse d’Avila. George Sand connaît d’ailleurs cette traditiond’oraison dans le jardin. (Corambé dans son enfance, des ouvrages du couvent). La « maison déserte » se fond avec le jardin.
Emmanuel Flory (Université Clermont II), dans «Sémiologie des fleurs dans Mauprat »,se réfère, lui, à ce livre où un des personnages principaux, Patience, herborise comme Rousseau. Chaque personnnage a son correspondant dans les fleurs: Edmée, par exemple, est une petite marguerite pour Bernard, Bernard qui sera apaisé par le jardin. On retrouve une tradition celtique dans ce roman avec le chêne emblème de l’hosptitalité. La femme fleur s’y retrouve aussi. Le parc final détient un hortus amoenus et le jardin a des résonances cosmiques et lyriques.
L’après-midi, sous la présidence de Françoise Guyon, Nicolas Courtinat (Université Clermont II) nous parle des « Fleurs et jardins dans Lélia: esthétique, symbolique, mystique», plan qu’il suit scrupuleusement pour nous dire que dans l’œuvre la plus mystérieuse de George Sand, le jardin est le moment le plus stratégique de l’œuvre. Nous sommes dans un monde d’une beauté exceptionnelle. Lélia est une nouvelle femme fleur, dans ce nouvel éden où les parfums coulent à flots comme une eau bienfaitrice. Lélio, lui, est l’homme fleur, le lys. Lélia est une rose blanche que Magnus voit se transformer en serpent. La fin voit une unité mystique, avec Sœur Maria del Fiore enterrée sous les lauriers roses.
Puis Pascale Dewey (Kutztown University, USA) – comme l’orateur suivant – revient à André, avec «L’éternel été de la femme-fleur artiste dans André». Entre la grisette, Geneviève, autre femme fleur, qui devient une véritable artiste dans un parcours initiatique au sein de sa petite maison et André, nourri de Byron et de Walter Scott dans son château, se noue un amour de fleur qui va tuer Geneviève qui ne peut s’épanouir que parmi ses fleurs et non au Château où elle sera privée de ses racines.
Alex Lascar (Université Paris IV), dans «La présence et le rôle des fleurs dans André »,compare ce roman à Eugénie Grandet, car il s’agit d’une histoire de la vie privée basée sur des fleurs. André est le botaniste que Geneviève va admirer. Il mêle Geneviève à son jardin botanique. Mais André, comme Narcisse, ne réussira pas à sortir de soi. On retrouve le château malfaisant avec les fleurs vénéneuses de l’étang proche. Geneviève meurt comme une autre héroïne de Balzac, Madame de Mortsauf, mais elle est singulière parce qu’elle est à la fois ouvrière et artiste.
Monica Hjortberg (Univesité de Karlstad, Suède), dans « L’Homme de neige et la rose du Nord »évoque ce paysage nordique où à première lecture, végétation et flore sont absentes et où, l’héroïne au prénom de fleur, la ravissante Marguerite, ne veut pas se marier. Christian, qui a vécu en Italie chez ses parents adoptifs et qui cherche ses parents biologiques, est l’homme du sud attiré par le nord – et Marguerite,«la rose du nord». Le blanc peut être couleur du passage, de toute sorte d’initiation. Christian s’intéresse à la botanique et à la minéralogie. Avec le printemps, Christian retrouve son identité et il pourra épouser la marguerite-rose, reine de ces lieux d’où la flore n’est pas exclue.
François Kerlouégan (Université Paris IV) a choisi de revenir à Lélia. Dans «Le lys et le lotus: Motif floral et défaillances de l’éros dans Lélia». Dans ce grand texte romantique sur l’impuissance féminine, François Kerlouégan suit de près le motif floral. Les fleurs pures telles que le lys, la rose blanche, disent un refus conscient du corps, un éros éteint, insatisfait. Le lys est fané, flétri.
Un autre réseau de fleurs existe, de fleurs sensuelles, la violette sauvage, l’herbe moite, les orangers et les myrtes, les jasmins. La fleur lascive entre toutes est le lotus; Magnus emmène Sténio dans un réseau de lotus. Mais ce lieu est rejeté. Le lotus est aussi une fleur de l’oubli, une fleur exotique. Lélia rêve de tropiques. Le liseron est l’autre symbole de la frigidité de Lélia. La femme et la fleur connaissent le même échec. Mais la fleur sauvage peut s’imposer, au printemps dans l’abbaye en ruines, c’est un foisonnement de vie. L’éros de la femme renaît.
Marie-Cécile Levet (Université Clermont II) traite des « Fleurs et jardins dans Marianne Chevreuse », roman qui n’a pas encore été cité. Ce récit est encore conduit par la nature dans le cadre du Berry. Philippe veut épouser Marianne, qui veut épouser son parain absent qui doit revenir. Philippe se perd dans ce pays qu’il connaît mal. Mariannne a un jardin assez petit, mais charmant. C’est un véritable jardin médiéval, une véritable œuvre d’art. C’est l’Elysée de Julie. Le parrain, Pierre, revient enfin: «la nature, c’est comme l’amour, on sent par le coeur».
La journée se clôt par un agréable dîner où de jeunes comédiens de la ville ponctuent le repas de séquences tirées des romans de George Sand en les mettant en scène. L’animation est très réussie, le dîner fort gai. Tout le monde se retrouve le vendredi 6 au matin à 9 h «Autour du végétal: politique , poétique», sous la présidence de Jean-Pierre Leduc-Adine (Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle). C’est Marianne Duflot (Université de Rennes II) qui ouvre la séance avec «Marguerite, Reine des jardins?». Marguerite est l’héroïne du conte de George Sand,« La reine Coax ». C’est une petite fille, attirée par les batraciens, qui vit avec sa grand-mère, comme la jeune Aurore, qui décide avec la permission de la dite grand-mère d’assainir le jardin. Mais la petite marguerite écoute une superbe grenouille et on entre dans le fantastique et, en même temps, des souvenirs de la jeune Aurore toujours, parce qu’un cousin qui ressemble à Hippolyte Chatiron se moque de Marguerite. Le jardin à l’anglaise devient un jardin à la française. L’eau manque, mais grace à Marguerite, elle devient limpide et claire, l’eau mythique du placenta autour de l’enfant, l’eau qui permet les rencontres. De quelle Aurore est-il question, la grand-mère réelle, la jeune Aurore Dupin, la petite Aurore Dudevant? De quels secrets de famille dans les eaux qui furent stagnantes?
Gérard Chalaye (Université de Rennes I), avec «Boisguilbault- Chateaubrun (1845) le jardin romantique et utopique »,aborde un autre roman où jardin et doctrines de Rousseau, Leroux et autres se mêlent. Le parc de Monsieur de Boisguilbault est-il un parc à la française? Oui, car il est du côté de la clôture, même s’il n’est pas clos. Il ouvre sur l’avenir, il a fallu attendre le XIXème siècle pour que les parcs royaux deviennent libres. Quel est son rapport avec l’agriculture, avec Jappeloup, l’homme de la nature? Mais il contient en son sein un jardin anglo-chinois laissé à l’abandon. Ce jardin sera-t-il le siège de la commune édenique? Les physiocrates disent alors que les terres réservées à l’agrément doivent être séparées des terres réservées à l’agriculture. A la fin du roman: «ceci sera le jardin de la commune»; George Sand a en tête Boussac où se sont installés Leroux et son groupe, mais comme le fera remarquer Michèle Hecquet dans la discussion, Leroux y a installé une imprimerie et non un parc.
Suzel Esquier (Université de Paris IV) nous ramène aux Contes d’une grand-mère, en étudiant la flore dans les dits contes. Dans sa première partie, Suzel Esquier revient à Jules Néraud et à l’enfance à Nohant. Dans ses contes, George Sand projette beaucoup de souvenirs divers, le voyage en Auvergne, les Pyrénées, sans compter les voyages imaginaires dans les lieux d’une autre vie. La nature parle aux hommes. On trouve un panthéisme assez semblable à celui de Victor Hugo.« Tout vit». «Ce que disent les fleurs». Il s’agit d’une véritable conception lucrécienne de la nature. Tout s’engendre, tout est atome. Nous avons eu d’autres vies.
Pierre Laforgue (Université de Besançon) nous entraîne dans «Bergeries sandiennes: François le Champi et La Petite Fadette». D’entrée de jeu, l’orateur nous déclare que le jardin sandien, omniprésent dans les romans, est un espace critique. Mais un terme nouveau apparaît dans les romans régionaux, berrichons, celui de «bergerie». Il s’agit, en fait, de refonder le contrat social. Il n’est que de lire les préfaces de ces romans. Le rêve de la pastorale s’oppose aux convulsions de 1848.« Une fée, une fadette, une figure de la république…».
Nicole Savy (Musée d’Orsay, Paris), dans «Minéral et végétal: les dendrites de George Sand ou comment ‘faire de la nature’ », fait un exposé très technique sur l’art de la dendrite, ou l’art d’utiliser des taches. L’imagination de l’écrivain est grande mais elle ne quitte pas le réel comme Hugo. Elle crée du réel (Cf sa correspondance avec Champfleury et Flaubert, sa fascination pour l’action vitale de Michelet). Cet exposé complète celui de Henriette Bessis.
L’après-midi, sous la présidence de Simone Vierne, démarre par la communication de Claudine Grossir (IUFM Paris).« Variations sur un motif littéraire: le pavillon dans le parc ». Le pavillon est, depuis La Princesse de Clèves, un motif littéraire. Qu’en fait George Sand? L’oratrice cite Valentine, La Comtesse de Rudolstadt, Le Compagnon du Tour de France, Antonia et d’autres textes encore où il apparaît sous diverses formes. C’est le lieu où l’on peut être observé sans être vu et vice versa.
Michèle Hecquet (Université de Lille III) s’interroge, dans «Jardiniers et jardinage dans l’œuvre de George Sand», sur la réalité concrète des jardins de Sand. Les jardins existent, ce colloque l’aura assez richement démontré, mais le jardinier, «l’homme à la bêche»? Passant en revue les divers romans et tout spécialement les romans socialistes, Le Péché de Monsieur Antoine, par exemple, elle constate que même Jappeloup n’est pas un vrai jardinier, et sûrement pas le marquis, ni le jeune Cardonnet. Le réalisme de George Sand ne va pas jusque là. (En revanche la Correspondance et Histoire de ma vie sont remplis de scènes de jardinage). Hugo a une vision beaucoup plus concrète.
Pascale Auraix-Jonchière (Université Clermont II) nous ramène au mythe de l’éden dans une communication intitulée« Géopolitique de l’Eden sandien», d’après trois romans, André, que nous retrouvons, Evenor et Leucippe et Marianne. On sait que, en particulier dans Evenor et Leucippe, George Sand, telle Dieu le Père, refait la Genèse ou quasiment. L’éden, pour Sand, est un lieu concave, une vallée splendide, un parc floral. Dans les deux autres romans, les jardins sont des éden. Mais ces éden se méritent. Eve, Geneviève, Marianne se méritent. On l’a déjà vu avec les autres études d’André, il faut une initiation (qui ne sera pas réussie dans le cas de ce roman). Quoiqu’il en soit, l’éden est notre premier jardin, le jardin de notre enfance et de nos premiers souvenirs, le jardin de Chaillot de Histoire de ma vie.
Mary Rice- Defosse (Bates College, Lewiston, Maine, USA), dans «Le Péché de Monsieur Antoineet le paradis retrouvé», nous ramène à ce roman et à l’éden, le hortus amoenus. L’oratrice résume le livre et on retrouve certains des thèmes de l’intervention de Michèle Hecquet. Après la mort du marquis, Gilberte et Emile mettront en commun leur commune. Le jardin préfigure un projet plus vaste, qui est une critique du capitalisme industriel.
Et Annabelle Réa (Occidental College, USA) termine la journée avec «Narcisse ou la réécriture d’un mythe». Dans ce roman, toute l’action est en plein air, et chacun des personnages ou presque a son jardin. Juliette de L’Estorade, qui vit au couvent sans être religieuse et qui a des interdits sexuels et sociaux, Narcisse Pardoux, près de son café, attenant au théâtre, attenant au couvent lui-même. Narcisse est donc cafetier, au XIXème siècle, entre 1820 et 1860 la vente des vins st spiritueux se développe. Son nom de famille, Pardoux, évoque le paradis, son petit jardin qui pour lui est empli de souvenirs, car il était, enfant, libre comme les petits paysans. Juliette au couvent, comme cela se faisait à l’époque, cultive à sa fenêtre du jasmin. Quand les héros auront accompli au printemps leur métamorphose, quand le mariage entre Narcisse et Juliette a enfin lieu, Juliette meurt, réécrivant le mythe de Narcisse. A travers elle, l’écrivain fait un portrait sensible et complexe d’une jeune femme qui, comme la Princesse de Clèves, a peur de l’amour et de quitter son milieu.
La dernière matinée, «Chemins de traverse en guise de conclusion», sous la présidence de Simone Bernard-Griffiths (Université Clermont II), voit se succéder trois orateurs. La première est Barbara Dimopoulou (Université de Paris IV), «Le monde des végétaux chez Sand et chez Michelet». On trouve dans la Correspondance et les Agendas des références à l’œuvre de Michelet, qui suivit parfois des conseils de George Sand. Tous les deux ont des lectures communes, comme Humboldt. Tous les deux étaient panthéistes. Pour les végétaux, cependant, Sand préférait Geoffroy St-Hilaire et Cuvier. Tous deux croient à la métempsychose.
Bernard Hamon (Université de Paris VIII), nouveau président des « Amis de George Sand», a un titre mystérieux, «Car il est temps d’y songer, la nature s’en va…», titre qui s’explique vite et que l’orateur citera en conclusion, puisque c’est une phrase de l’écrivain elle-même. Il commence par des considérations historiques. Déjà dans les années 40, quand Chateaubriand finit ses Mémoires il est conscient du changement. Paris dépasse le million d’habitants, le chemin de fer est en plein essor, les terres sont défrichées, Geoffroy St-Hilaire affirme l’évolution générale, à laquelle George Sand souscrit, mais elle n’en deviendra pas son porte-parole. Elle lit Darwin et le fait lire à Maurice. Le critique aussi. Toujours dans ces années, George Sand a l’occasion de voir des Indiens et s’intéresse vivement à leur culture. Il faut progresser, mais progresser avec discernement, pas comme Cardonnet, l’ingénieur qui brutalise la nature et échoue devant elle. Il faut déboiser, mais pas trop, car il est temps d’y songer…La nature n’est pas inépuisable…
Marie-Christine Garneau de l’Isle Adam (Université d’Hawaï, USA) nous présente la « Représentation florale de George Sand, Camille Maupin, l’homme aux camélias, dans Béatrix de Balzac ». On sait que George Sand donna à Balzac l’idée du roman et que Camille Maupin= Félicité Destouches est inspirée par Sand. Mais dans le roman, les jeux sont subtils et Marie-Christine Garneau de l’Isle Adam va se livrer à un brillant exercice de style, renvoyant dos à dos les deux femmes – George Sand et Marie d’Agoult sans trêve. Dans le roman, où sont les fleurs? Béatrix est une rose, Félicité un camélia. Balzac écrivait en même temps Les Illusions perdues, quand Camille Maupin apparaît, le recueil des Marguerites contient les «camélias». Balzac s’intéresse à l’hermaphrodite végétal, Camille Maupin, car le camélia est un monstre dans la nature. L’étude de ce livre se prête beaucoup à l’intertextualité, ce à quoi l’oratrice se livre avec virtuosité.
Le moment est venu de clore ce colloque si fleuri dans tous les sens du terme, et c’est Marie-Cécile Levet (Université Clermont II) qui nous offre une belle synthèse sur les jardins, les fleurs, les jardiniers absents, les lieux, le Berry, l’Espagne, Paris, la recherche du sublime, les femmes-fleurs, le code floral du XIXème, les jardins de l’âme, les jardins et la politique avec, en particulier, «le jardin domanial», et les mythes, de l’Eden et de Narcisse.